Hold-up au bureau de poste du Perreux-sur-Marne le 15 décembre 1976

Récit de Gérard Milhau et Danielle Lucas, propos recueillis par Madeleine Quéré que nous reproduisons in extenso.

Chaque salarié connaît peu ou prou des conditions de travail parfois difficiles. Sans vouloir faire de hiérarchies, il faut noter qu’avec la crise et la montée du banditisme, les agents des banques, les convoyeurs de fonds, les postiers, tous les salariés amenés à manier des fonds, sont parfois confrontés à des situations traumatisantes qui peuvent avoir des répercutions sur leur vie entière. Pour illustrer ce propos nous voudrions vous relater un événement parmi d’autres, mais qui des années après a laissé les personnels profondément choqués.

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La Poste du Perreux

Gérard Milhau

« J’occupais la position de travail au télégraphe. J’étais en train de transmettre un télégramme, quand la porte qui relie les guichets aux services arrières s’ouvre brusquement. Deux individus cagoulés et armés font irruption dans ces services. J’ai tout de suite compris. J’ai décroché le téléphone sans penser laisser le moindre message de détresse à mon interlocuteur, ni même penser à appuyer sur le bouton d’alarme portant très accessible et cela de manière discrète. Comme quoi, on ne peut préjuger de son comportement dans de telles situations.

Les deux gangsters s’approchent de moi et de mon télégraphiste “Francis”. L’un me met le révolver au dos, tandis que l’autre pose son révolver sur la nuque de mon télégraphiste, l’intimidant en lui tapant sur la tête à coups de crosse de révolver. Ils m’emmènent vers le bureau du receveur situé à proximité pensant peut-être que c’était l’endroit où se trouvait le coffre. Voyant que ce n’était pas le bon endroit, ils me demandent de les y conduire, l’un me mettant le révolver dans le dos et l’autre continuant de frapper Francis avec la crosse de son arme. Pour aller à l’endroit où se trouve le coffre, il faut traverser toute la partie guichet public. Ce que je vais raconter dans l’immédiat, malgré ma présence en première loge, je ne me le rappelle pas, me souvenant uniquement du moment où je me suis trouvé devant la porte du Bureau d’ordre, emplacement où était le coffre. Mes collègues, tenus en respect aux guichets, m’ont dit que les gangsters avaient en passant intimidé l’agent du contrôle et mes autres collègues avec leur révolver et en mettant tout en désordre sur leur passage. Les deux gangsters tout en tenant toute la salle publique en respect accédaient au coffre. D’après mes collègues je n’étais ni blanc, ni rouge mais transparent. Me trouvant devant le Bureau d’ordre, où se trouvait ma collègue affectée à ce bureau, celle-ci pense que je venais m’alimenter en timbres ou en numéraire, bien que je n’occupais aucune fonction financière, elle me regarde à travers l’ouverture vitrée de la porte et je lui dit “Ouvre Danielle, c’est un hold-up”, elle s’exécute, heureusement, mais s’évanouit en même temps. Le voyou essaye de la réanimer avec un coup de pied, n’y arrivant pas il la met sous la table où avant notre arrivée elle travaillait avec un employé de la perception à reconnaître les fonds. (Il faut savoir que le percepteur faisait transiter ces fonds par la Poste, on disait qu’il déversait, et le passage de la Poste à la Perception était un passage interne entre les deux bâtiments, donc hors de la vue du public. les gangsters devaient ignorer qu’à ce moment-là ils volaient la Poste et la Perception, deux pour le prix d’un). Là, les gangsters me demandent d’ouvrir le coffre dont je ne connaissais pas la combinaison, Danielle étant évanouie, elle ne pouvait l’ouvrir non-plus. J’appelle alors Gaby qui était à l’extérieur de la pièce et qui était le seul à connaître la combinaison (aujourd’hui on dirait qu’il était le cassier titulaire). Le gangster me place le révolver sur la tempe et donne une minute pour que le coffre soit ouvert, sinon il m’abat, heureusement Gaby arrive ».

Danielle Lucas

« Ce 15 décembre 1976, j’occupe le poste du Bureau d’ordre, la caisse centrale, depuis une quinzaine de jours (je suis une petite bleue). L’employé de la Perception était présent et faisait un versement en numéraire. Je reconnaissais l’argent quand d’un seul coup j’entends des hurlements. Aussitôt je savais de quoi il retournait, un an avant j’avais vécu la même chose dans un autre bureau et ces cris sont toujours présents dans ma tête. Je me suis levée, pris une brassée de liasses de billets dans mes bras pour les dissimuler sous des sacs postaux et je me suis assise. J’aurais pu renouveler cette opération une fois de plus, mais non... l’instinct commande et non la raison. Puis la porte du bureau d’ordre s’est ouverte et Gérard, aussi blanc que sa blouse est rentré dans le sas avec un pistolet sur la tempe. (Pour accéder au Bureau d’ordre il y avait deux portes avec entre les deux un sas où les échanges avec les guichetiers s’effectuaient). »

“Danielle fait pas la con ! ouvre la porte” demande Gérard. Aucune hésitation, la vie de mon collègue en dépendait. Et là, les gifles ont commencées à tomber... le gangster m’a mise devant le coffre et m’a dit “Ouvre”. Je tremblais comme une feuille si bien que la combinaison du coffre devenait “indigeste”. Pour y arriver, il me cognait, ce n’était pas efficace comme solution. Gérard voyant que je n’y arrivais pas m’a dit “Appelle Gaby” (celui qui m’avait formé). C’est le gangster lui même qui a crié “Gaby”. Ce dernier a réussi à ouvrir le coffre. Le deuxième gangster, à coups de pied, nous a mis, Gaby, Gérard, le gars de la Perception et moi-même, sous une table, pendant que le premier gangster vidait le coffre. J’avais envie de hurler, pour ne pas le faire, je mordais le bras de Gaby avec violence. Le pauvre en gardera de sérieuses marques mais il n’a jamais rien dit.

Avant de partir, les gangsters ont jeté tous les dossiers et les papiers, le sol en était tapissé. La salle des guichets était dans le même état. Jacqueline, une collègue du guichet à eu le dos bloqué à cause des coups de pied.

Je tiens à rendre hommage à M. Champ le receveur qui a été d’une belle humanité, seul ses agents lui importaient. Il nous a amené dans son appartement et lui et sa femme, nous ont réconfortés. C’était un vrai bonheur de constater que les sentiments passaient avant l’argent. Ce n’était pas ce que j’avais vécu lors du premier cambriolage.
Pour conclure je ne souhaite cette expérience à personne, car même après de nombreuses années on reste fragile ».

Des collègues à l’extérieur au moment du hold-up regagnent le bureau de poste.
« À mon retour de pause, à l’extérieur, je suis avec Claire, nous n’avons aucun signe distinctif de la poste sur nos blouses. À la hauteur de la première entrée publique du bureau de poste en venant de la rue de la Station, quelqu’un est passé précipitamment derrière nous et s’est affalé sur le siège arrière d’une 204 Peugeot, avec un sac à paquetage rempli. Sur le coup nous n’avons pas réalisé. Puis nous avons fait quelques pas et à nouveau, une autre personne nous passe derrière et prend le volant de la voiture. Là encore je pense que nous ne réalisons pas. Puis avant d’arriver à la hauteur de la deuxième porte, un troisième personnage en sort avec un pistolet mitrailleur à la main. Là c’était clair il s’agissait d’un hold-up. La voiture est partie en trombe mais nous avons pu relever le numéro. Arrivée dans la cour, Gérard quittait sa blouse pour courir après les voleurs. Dans le bureau de Poste, l’Inspectrice centrale tentait de contacter la police, à l’aide du téléphone du télégraphe, et avec un langage particulièrement véhément pour ne pas dire plus, sans doute la peur l’avait-elle fortement perturbée ».

Madeleine Quéré Danielle Lucas Gérard Milhau