La faïencerie Boulenger de Choisy-le-Roi

Préambule

L’histoire de cette entreprise est, d’une certaine
manière, exemplaire de la naissance du
capitalisme industriel dans notre pays et cela, à
plusieurs titres.

Elle naît et se développe du début du 19e siècle
au mitan du 20e.

Elle suit les évolutions techniques de son
temps avec inventivité, réussite et créativité.
Elle illustre, en économie, l’intégration verticale,
des carrières de terres aux magasins de
vente au détail avec le minimum d’intervenants
extérieurs.

Elle manifeste un paternalisme certain dans la
mouvance du catholicisme social.

JPEG - 98.5 ko
D.R.

Historique

La faïencerie de Choisy-le-Roi a été fondée il y
a deux cents ans par les frères Paillart. Le 2l
floréal an XIII (11 mai 1805). Valentin.
Melchior et Nicolas Paillart se rendent acquéreurs
d’un terrain de 4 hectares, situé sur une
partie de l’ancien domaine royal, pour y installer
leur manufacture de faïence. La faïencerie va
devenir, au fil du temps, et ceci jusqu’à sa fermeture
définitive vers 1938, le principal centre
de rayonnement de Choisy.

JPEG - 83.7 ko
À partir de 1878, marque en creux d’H. Boulenger et Cie.
D.R.

Propriété des frères
Paillart de 1805 à 1824, la
faïencerie est ensuite dirigée
par Valentin Paillart
et son associé Hippolyte
Hautin. En 1836, le départ
de Paillart laisse
l’usine à Hippolyte Hautin
et Louis Boulenger.
En 1863, Hippolyte Boulenger,
fils de Louis Boulenger,
leur succède et
reste seul à la tête de l’entreprise
jusqu’à sa mort
en 1892.

JPEG - 84.6 ko
À partir de 1878, marque imprimée sous couverte d’H. Boulenger et Cie.
D.R.

Hippolyte Boulenger, par
son charisme et son caractère
entreprenant, fait
connaître à la faïencerie
un développement spectaculaire.
En 1878, l’entreprise
familiale se
transforme en société par
actions et prend le nom de Société Hippolyte Boulenger et Cie. Le travail est
réorganisé afin d’en augmenter le rendement.
De nouveaux marchés sont acquis et la production
est diversifiée dans le but de toucher une
clientèle plus large. Le succès est tel que la société
doit s’agrandir en multipliant les ateliers et
en ouvrant d’autres usines. À Choisy, de 300 ouvriers
en 1860, l’entreprise passe de 1 300 employés
en 1900 à 1 400 en 1930. Le siège social
de l’entreprise est installé en 1889 au n° 18 rue
de Paradis à Paris. Au n° 21 rue Pajol est créé un
département distinct de la faïencerie de Choisy,
en vue d’assurer la pose des revêtements céramiques.
En 1892, Paul Boulenger prend la succession
de la faïencerie et continue l’oeuvre de
son père. Louis Prive, petit-fils d’Hippolyte
Boulenger devient administrateur général de la
société, aidé par Jean Boulenger, son cousin.

La production

La fabrication de produits de consommation
courante représente de loin l’activité essentielle
de l’usine : articles sanitaires, services de table,
services à café, à thé, vases... sont distribués
dans la France entière et à l’étranger, les articles
étant d’un excellent rapport qualité-prix. En se
tournant vers la production d’articles bon
marché, Hippolyte Boulenger arrive à atteindre
une clientèle bourgeoise, pas assez riche pour
acquérir des articles de luxe mais aimant vivre
confortablement. La production d’objets courants
serait en 1880 de 300 000 pièces par
semaine.

JPEG - 89.2 ko
Après 1836, marque imprimée sous couverte, d’Hyppolite Hautin et Louis Boulenger.
D.R.

Le magasin au n° 18 rue de Paradis est ouvert
en 1889 afin de mettre en valeur les produits
proposés à la vente. La production d’objets
d’art, rares et luxueux, est en revanche plus
réduite et destinée à une clientèle fortunée. Les
réalisations, parfois monumentales, sont très
remarquées dans les diverses expositions auxquelles
la société participe à partir de 1867. En
1878, de nouveaux ateliers consacrés à la production
d’art et à la décoration architecturale en
émaux cloisonnés sont construits. Le souci de
qualité et de création des propriétaires de la
faïencerie permet à de grands noms de la céramique,
tel Louis Carrier-Belleuse de séjourner à
Choisy.

Autre production importante : les revêtements
céramiques muraux et les carrelages de sol. En
1889, Hippolyte Boulenger obtient les 2/3 du
marché du Métropolitain pour les revêtements muraux en céramique. La faïencerie n’est
d’ailleurs connue par certains que pour ces carreaux
de grès biseautés de 7,5 cm par 15 cm en
émail blanc parcourant les couloirs du métro
parisien. Vers 1930, environ 200 000 carreaux
Métro sont produits par semaine, soit environ
40 000 par jour.

JPEG - 77.2 ko
Après 1836, marque imprimée sous couverte, d’Hyppolite Hautin et Louis Boulenger.
D.R.

Les ateliers et la fabrication des pièces

Les ateliers, bâtis sur les restes du château, se
multiplient à partir de 1878. Sur les 21 000 m2
dont dispose la faïencerie, plus de 10 000 sont
occupés par des bâtiments. En 1936, l’usine
s’étend sur 36 000 m2. On retrouvera, à la
démolition des bâtiments, les restes du petit
château construit par Louis XV pour Madame
de Pompadour.

L’organisation de la production des faïences
est pensée de façon à rationaliser le travail au
maximum. L’ordre des ateliers suit l’ordre de la
fabrication. En effet, la disposition des ateliers
est conçue de manière à obtenir, sur l’espace le
plus restreint possible, le travail le plus rentable.
Afin d’éviter les va-et-vient occasionnés par les
manutentions, des voies ferrées (1 500 mètres
en 1878) relient les ateliers entre eux tandis que
les petits déplacements sont assurés par les
« gamins ». Les ateliers sont spécialisés : chaque
ouvrier à sa place et un travail bien défini, prémices
du travail à la chaîne.

La société évite aussi le plus possible
d’avoir recours à des intervenants extérieurs.
Elle fournit donc ses matières premières,
répare ses machines, prépare ses emballages.

JPEG - 9.7 ko
Terre de fer.
D.R.
JPEG - 37.1 ko
Terre de fer.
D.R.

La préparation des pâtes

Le mélange servant à la fabrication des
faïences est élaboré dans l’atelier de préparation
des pâtes : sable, terre et kaolins sont
mélangés, tamisés, délayés puis pressés sous
forme de gâteaux. Ce mélange est ensuite
laissé à fermenter dans un sous-sol frais et
humide : c’est l’étape du pourrissage qui dure
deux mois. Le processus de fermentation
terminé, la pâte est malaxée. Elle est ainsi
prête à être façonnée.

Le façonnage

La pâte est ensuite distribuée aux ouvriers des
ateliers de façonnage qui donnent à la pièce sa
forme définitive. Les anses sont faites à part,
dans des moules et soudées avec de la
barbotine : c’est l’opération de garnissage.

La cuisson des pièces et l’émaillage

Les pièces sont disposées dans des cazettes et
soumises à une première cuisson, la cuisson de
dégourdi, qui dure soixante heures. La faïence, qui
a subi une première fois l’action du feu, est
nommée biscuit. Le biscuit est ensuite baigné
dans l’émail, puis cuit une seconde fois avant
d’être décoré. Cette technique, dite du petit feu,
consiste à peindre le décor sur l’émail déjà cuit.

Les couleurs se fixent à l’aide d’un fondant
incolore par des cuissons successives. Cette
méthode offre à l’artiste une surface totalement
lisse et imperméable lui permettant de revenir
sur le tracé du dessin. Elle permet de donner
une gamme délicate de couleurs et de varier les
représentations. La technique du grand feu, quant
à elle, consiste à poser les couleurs sur l’émail
cru. Aussitôt posées, les couleurs sont
absorbées, d’où l’obligation d’avoir la main
précise car il n’est pas possible de retoucher le
dessin.

JPEG - 124.3 ko
Le château, la faïencerie dite Société Hippolyte Boulenger et Cie, la maison, le lotissement concerté du Parc.
D.R.

La décoration

Toutes les couleurs sont créées et préparées
dans l’usine. Tous les dessins y sont également
composés. Les modèles pour la décoration des
pièces sont gravés sur cuivre. L’impression se
fait avec des encres spéciales, sur des papiers
pellicules appliqués aux pièces à décorer.

L’entreprise Boulenger est une entreprise paternaliste

Elle est présente à chaque instant de la vie de
ses ouvriers. Son personnel bénéficie d’une
Caisse d’Épargne, d’une Société de Secours
Mutuels, d’une Caisse d’Assurance contre les
accidents, d’une Coopérative Alimentaire.
Hippolyte Boulenger est à l’origine d’oeuvres de
bienfaisance et d’assistance, oeuvres qui obtiennent
par ailleurs des récompenses officielles.
En 1867 sont créés une crèche pour vingt
enfants de 2 mois à 3 ans et un asile pour cinquante-
cinq enfants de 3 ans à 13 ans. Ces deux
établissements sont confiés à la direction des
Soeurs de Saint-André. En 1872 est fondée une
école de garçons pour les enfants travaillant à la
faïencerie.

En 1875 est organisée une fanfare.

En 1883, est créé un internat d’apprentis pour
cinquante garçons destiné à recevoir les orphelins
des parents ayant travaillé à la faïencerie et
les enfants de l’assistance publique.

La faïencerie a fortement influencé le paysage
choisyen. Un tiers du territoire de la commune
appartient en effet à la famille Boulenger. La
propriété personnelle de la famille, Le Château,
s’étend à elle seule sur plus de 7 hectares et
occupe l’ancien potager royal. Il sera le siège de
la Kommandantur pendant l’Occupation.

Le logement des ouvriers représente la préoccupation
principale des directeurs de la faïencerie.
Hippolyte Boulenger se démarque par une
vision sociale avant-gardiste pour son époque : il va notamment permettre à ses
ouvriers d’acquérir un terrain
pour y bâtir leur propre maison.
Le quartier des Gondoles, appartenant
en grande partie à
Boulenger, va ainsi se couvrir
d’habitations à partir des années
1880. Les terrains sont revendus
par lots aux ouvriers à des conditions
de prêt avantageuses. La
Villa des faïenciers, suite de
maisons individuelles et doubles
inspirées du modèle mulhousien
d’Émile Mùller, est aussi
construite à cette époque.

Dans les années 1920, Paul
Boulenger, continuant l’oeuvre de
son père, entreprend la construction
d’immeubles, dans le quartier
des Gondoles et dans le
centre-ville. Ainsi, l’immeuble
aux n° 6-8 avenue d’Alfortville
est construit en 1929. Et, en
1930, est édifié, en face même de
la faïencerie, un immeuble de
350 logements pour cadres et
ouvriers, encore appelé aujourd’hui
immeuble Boulenger.

JPEG - 47.2 ko
Détail de céramique de la station Solférino (porcelaine de Sèvres, vers 1910).
D.R.

Une fin de « règne » dans le flou de la mémoire

Du 2 au 15 juin 1936 éclate la première grève
des faïenciers de Choisy. De très nombreux salariés
se syndiquent. Avant cette date, les diverses
tentatives pour implanter un syndicat se sont
soldées par des échecs. Les ouvriers n’y sont
pourtant sans doute pas totalement hostiles et,
en 1905, pendant la grande grève des verriers
chez Houdaille à Choisy, ils apportent une aide
financière considérable. Cependant, de par sa
vigilance, la famille Boulenger élimine certainement
les perturbateurs potentiels.
L’adhésion à la religion catholique, fortement
recommandée si on veut travailler à la faïencerie,
ne va pas non plus dans le sens de l’agitation
syndicale... Au Conseil de Famille se
règlent les conflits : « Paternalisme pour la misère
et l’exploitation » déclare un ancien militant
communiste.

De plus, une population émigrée
d’Alsaciens-Lorrains semble acquise aux
Boulenger. Cinquante ans après la fermeture
de l’entreprise, apparaît encore à leur
encontre dans quelques discours, une certaine
xénophobie. Réputés pour être « à la botte du
patron », très catholiques pratiquants, ils fréquentent
le Cercle catholique de Choisy, association
animée par la famille Boulenger.

«  C’étaient des mouchards, toujours en train d’épier ce
qui se disait
 ». Cet état d’esprit n’est pas étranger
aux nombreuses allusions, faites par les témoins,
d’ingérences dites extérieures. Ce serait ses ingérences qui auraient fait capoter la
Coopérative Ouvrière négociée avec
les Boulenger. En effet le stock laissé à
la disposition de la Coopérative
comme volant de trésorerie dans l’accord
de session, fut rapidement dilapidé
avant que la production ne
démarre vraiment. En 1938, c’est la
faillite. La famille Boulenger reprend
les terrains et les locaux mais pas la
production transférée à Montereau. Ce
sont 700 nouveaux chômeurs dont
550 pour la ville de Choisy.

Des rumeurs font état d’anciens
projets de réalisation immobilière sur
les terrains de l’usine. Cette hypothèse
pourrait être crédibilisée par l’attitude
de la municipalité d’alors qui ne s’est
pas engagée fermement auprès des
salariés. Cette option se réalisera en
1953 avec la rénovation du centre-ville
de Choisy et la construction de la calamiteuse
dalle commerciale.

Et aujourd’hui ?

Seule subsiste de la Société Hippolyte
Boulenger et Compagnie
une entreprise de
pose de revêtements sise rue Pajol à
Paris. En 1967, celle-ci est constituée
en société anonyme sous la dénomination
Établissement Boulenger, entreprise de revêtements.
Aujourd’hui spécialisé dans les revêtements
spéciaux par coulage dérivé de la technique
Granilastic, l’établissement Boulenger ne
continue pas moins ses activités traditionnelles
qui sont le carrelage, les revêtements plastiques
et les moquettes.

L’entreprise regroupe environ 130 personnes
et possède deux usines de production à
Villetaneuse.

François Robichon
P.S. :

Ce texte doit beaucoup à la brochure publiée par le
Service Municipal des Archives de la ville de Choisy le
Roi éditée à l’occasion du 200e anniversaire de la faïencerie.
Il est issu essentiellement du travail universitaire
d’Hélène Bougie et de ses deux thèses :
- La faïencerie de Choisy-le-Roi, fin du XIXe siècle
début du XXe (Mémoire de maîtrise Université de Paris
XII Val-de-Marne, 1982),
- Patrimoine industriel de Choisy-le-Roi (DEA École
de Hautes Sciences Sociales, 1986).

Merci également à l’Association Louis Luc pour
l’Histoire et la Mémoire de Choisy-le-Roi auteur de deux
brochures (publiées lors de deux belles expositions des
productions de la faïencerie) dont l’une signée Hélène
Bougie.