Hommage

Une longue et belle vie de militants

Raymond et Marie-Joséphine Savignat

Vous lirez ci-dessous le récit que nous a fait Marie-Joséphine Savignat, l’épouse de Raymond Savignat, sur sa vie de militant. Nous n’avons rien changé à ce texte : il est l’expression d’un couple uni à travers les épreuves, les luttes et les joies de la vie. Vous y verrez la modestie et la ténacité de ceux qui toute leur vie se sont battus pour que demain soit mieux qu’aujourd’hui.

Mon Mari Raymond Savignat est né le 25 décembre 1912 à Alfortville où il a fait sa scolarité.

Pendant la Première Guerre mondiale, son père étant mobilisé, sa mère s’est repliée chez sa belle-mère en Creuse avec ses deux enfants jusqu’au retour de son mari en 1919. De retour à Alfortville, il a été scolarisé à l’école de la rue Victor Hugo, mais son maître l’a renvoyé en lui disant : « Tu reviendras lorsque tu sauras parler français » car il ne parlait que le patois.

Il a obtenu son Certificat d’Études à 12 ans et a fait ensuite un an de Cours Complémentaire. Il avait été reçu pour entrer au lycée Marcellin Berthelot de Saint-Maur, mais son père l’a obligé à cesser ses études, parce qu’il avait commencé à construire lui-même sa maison sur un terrain acheté avant guerre à Créteil. C’était son métier : un vrai maçon de la Creuse.

À 13 ans, il a trouvé un premier travail chez les Bennes Hardy situées à Maisons-Alfort. Il y est resté un an, l’entreprise ayant été obligée de se replier en grande banlieue à cause des nuisances sonores de son activité.

Après cela son père lui dit :« Va chercher du travail ». Il n’osait se présenter nulle part, étant très timide. Il restait assis sur un banc toute la journée. Voyant cela son père l’a fait embaucher par son patron, l’entrepreneur de maçonnerie Bertrand à Charenton, comme garçon cimentier.

Un ouvrier plâtrier, le voyant si sérieux, a demandé à le prendre avec lui et il lui a appris le métier de plâtrier. Cet homme a été un père pour lui.

Il est resté dans cette entreprise jusqu’à son service militaire qu’il a effectué à Bitche en Moselle. Jusque-là, il ne s’occupait ni de politique ni de syndicat, et c’est au régiment que son éducation a été faite.

Au retour, l’ouvrier avec qui il travaillait est décédé, et Raymond n’a pas été réembauché. Son père également a perdu son emploi après 33 ans de maison.

Ensuite il a travaillé dans diverses entreprises ; en particulier au pavillon de l’U.R.S.S. à l’exposition de 1937, où il était responsable des échafaudages et délégué syndical.

Nous nous sommes mariés en 1937. À la fin de cette année, il a subi 3 mois de chômage. Pendant ces 3 mois nous avons écrit à toutes les administrations (c’est moi qui écrivais les lettres car il trouvait que mon écriture était plus lisible que la sienne). Il n’y a que les lignes téléphoniques qui ont répondu favorablement en l’embauchant comme intérimaire pour manipuler des lingots de plomb au dépôt d’Aubervilliers. Il devait boire un litre de lait par jour pour se désintoxiquer et gagnait la moitié moins que dans son emploi précédent dans le bâtiment.

En septembre 39, la guerre est déclarée. Il est affecté aux Tirailleurs marocains où il est responsable d’une section de transmissions des services téléphoniques sur la ligne Maginot. C’est en se repliant de Belgique que son unité a été anéantie. Après plusieurs jours de marche, avec ce qui restait de sa division, ils ont été faits prisonniers dans le Nord. Ils n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours.

Pendant un an, il a eu du mal de s’en remettre, il ne pesait plus que 49 kilos (j’ai une photo en faisant foi). Après des soins, il a repris le dessus.

Au camp de Cambrai, où ils étaient parqués, il a demandé à aller travailler dans une ferme. Il a été envoyé à Inchy Beaumont qui se trouvait dans la zone interdite ; j’ai pu aller le retrouver à vélo. En route je me suis arrêtée dans un café et la patronne m’a indiqué sur ma carte où je pouvais passer la Somme. Car dans les villes les ponts étaient gardés par les Allemands.

À Chépilly un passeur nous faisait traverser la Somme avec son bateau. Pour y accéder il fallait aller à travers champs.

J’ai laissé à Raymond ma carte et mon vélo et ainsi il a pu s’évader.
Après une semaine où il est resté caché chez ses parents, il a pris la route à vélo pour aller en zone libre à Moulins où je suis allée le rejoindre par le train. À Varennes-sur-Allier, il avait trouvé du travail mais comme il voulait garder sa place aux PTT son patron ne pouvait le déclarer. C’est pourquoi nous sommes partis en Creuse, toujours à vélo. à Malleret-Boussac où nous avions de vagues cousins, le maire nous a réquisitionné une maison ; c’était une grande pièce de 6 m sur 6 et les cousins nous ont prêté un lit, une table, un banc. C’était une maison très froide les œufs y gelaient malgré un feu dans la cheminée.

Pendant ces années en Creuse, il a fait le bûcheron. Il a loué un champ où, avec les récoltes, nous avons pu élever des poules et des lapins, même des porcs et une chèvre. Nous avons pu ainsi ravitailler ses parents pendant toute la guerre.
Avant cela, après sa démobilisation à Limoges, il a pris contact avec les PTT de Guéret. Un chef de la Direction de Paris a voulu le faire revenir en région parisienne. Comme il était un prisonnier évadé, pour Raymond il n’en était pas question. On l’a radié des PTT.

En 1942 notre fille aînée est née. Dès qu’elle a pu se tenir dans un panier sur mon vélo, je l’emmenais car nous étions à 6 kilomètres des commerçants. Elle savait à 2 ans et demi tout ce qui poussait dans les champs.

En 1936, Raymond avait été délégué syndical dans plusieurs entreprises, dès la libération de la France, il a repris son activité militante dans la Creuse. Il a abonné plusieurs cultivateurs à la « Terre ». Il a créé un Comité de Femmes Françaises.

Nous sommes rentrés en mars 45, et grâce au syndicat CGT, il a été réintégré aux PTT où il a passé un concours pour devenir soudeur, sa situation s’est améliorée. Il a été également surveillant de travaux pendant quelques années et il a terminé comme agent principal. Il a été délégué jusqu’à la retraite. Il a aussi contribué à la mise en place de l’Union Locale CGT de Créteil et en a été le premier secrétaire de 68 à 1979.

Il a été élu à la Commission Exécutive de l’UD-CGT du Val-de-Marne de 1970 à 1976.
Il était aussi très sensible aux questions de protection sociale et il fut Assesseur titulaire au Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de 1973 à 1994. C’était des 35 à 40 dossiers à traiter et à défendre chaque mois au Tribunal.

Il a été 72 ans adhérent à la CGT, depuis 1936 jusqu’à son décès. Pour mettre en place l’Union Locale de Créteil, il en a fallu du travail !

Chez Reboul Sofra, il y avait 450 salariés. Il était posté dès 5 h 45 pour vendre la VO, de même à Carrefour (les Moteurs Bertrand et Reboul n’existent plus). Dès qu’il y avait assez de syndiqués il y mettait un délégué.
Il n’y avait pas de syndicat parmi le personnel de nettoyage de l’hôpital Henri Mondor, il a créé une section syndicale CGT, fait élire un délégué et obligé leur patron à les faire vacciner.
En même temps qu’il s’engageait à la CGT ; il a pris sa carte au Parti Communiste Français dès son retour du service militaire ; tout d’abord à la cellule du Vert de Maisons-Alfort où nous avons habité 2 ans. À la cellule du Parc, lorsque nous sommes venus habiter Créteil, puis en dernier à la cellule Labadie.

Pendant notre séjour en Creuse, en 1944, il avait formé une cellule du Parti Communiste Français.
En dernier, il avait la carte de Vétéran.
Nous avons été en U.R.S.S. ensemble, et à notre retour nous avons suivi tous les deux des cours de Russe. Raymond y est retourné avec les Vétérans.

Il aimait jardiner (jusqu’à 93 ans) et il disait que s’il avait réussi à vivre si longtemps c’était grâce aux légumes et aux fruits de son jardin.

Après le décès de ses parents il était devenu propriétaire de leur maison ; mais, en 72, nous avons été expulsés par l’État (expropriation d’utilité publique pour l’autoroute 86). Raymond avait formé un comité de défense car nous n’étions pas les seuls. C’était la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Nous avons été spoliés. À la retraite, nous avons dû nous endetter pour acheter notre maison actuelle. Il y avait beaucoup de travaux à faire. Raymond les a effectués lui-même.

Raymond nous a quittés en avril 2008. Nous avions été mariés pendant 71 ans.

Je suis née le 13 mars 1918 à Plouguin (Finistère) dans une famille de 10 enfants. Mes parents étaient cultivateurs et louaient une ferme. Ils étaient catholiques pratiquants. Le curé venait tous les ans chercher le denier du culte. Une année il dit à mes parents : « Si vous n’avez pas d’argent, donnez l’équivalence en blé » , alors que nous n’avions pas assez pour attendre la nouvelle récolte !
C’est ce jour-là que mon frère aîné est devenu anticlérical.

Nous étions 6 garçons et 4 filles. Je suis la dernière née et je reste la dernière. Je les ai vus tous partir les uns après les autres à plus de 80 ans. Lorsque j’ai eu 6 ans ; mes parents avec tous leurs enfants sont venus habiter l’Ille-et-Vilaine où l’on parlait le gallo alors que dans le Finistère c’était le breton (le catéchisme et la messe également en breton).

Lorsqu’il a fallu aller à l’école, j’avais 4 km à faire, les deux derniers à travers champs. Comme j’étais peureuse, le matin je trouvais des prétextes pour ne pas y aller. Voyant cela mes parents m’ont mise en pension chez les religieuses de 9 ans à 12 ans jusqu’au certificat d’études. Pendant ces trois années j’ai fait deux fugues pour revenir à la maison tellement je m’ennuyais des miens.

Mon frère aîné est venu le premier dans la capitale où il est rentré à la ville de Paris. Les autres ont suivi et se sont mariés dans la région.

Ma sœur aînée la première et les autres à la suite, nous étions placées presque toutes chez des docteurs. L’été toute la fratrie se réunissait dans le bois de Vincennes. Jusqu’au jour où ma sœur Anna et moi avons acheté un vélo, et le dimanche, nous allions à la campagne jusqu’à Melun ou Meaux.

En 37, c’était encore l’euphorie du Front Populaire, nous avions tous les deux une veste et un béret, rouges comme nos idées. Raymond, accompagné d’un copain de régiment, faisait du vélo également. Tout en pédalant nous parlions et nous nous sommes aperçus que nous avions les mêmes idées. Comme nous étions des filles sérieuses cela leur a plu d’emblée.
Cela se passait en avril. Le 31 juillet nous nous sommes mariés civilement à Créteil.

Dès notre mariage Raymond a acheté un tandem. Nous avons fait notre voyage de noces avec jusqu’à Dieppe. Il y avait beaucoup de monde sur les routes avec ce moyen de transport, beaucoup d’enseignants. On fraternisait facilement. Ce vélo m’a plus tard permis, en février 40, de rendre visite à Raymond qui était au repos en Champagne avec son régiment. Nous sommes devenus amis avec le couple de vignerons qui m’avait hébergée (nous y sommes revenus faire les vendanges en 1947).
Comme je vous l’ai indiqué précédemment, c’est encore grâce à mon vélo que Raymond a pu s’évader !

Jusqu’à la naissance de ma fille aînée j’ai milité avec Raymond.
N
otre fille Pierrette est née en mars 42 à Malleret-Boussac, elle avait juste trois ans lorsque nous sommes revenus à Créteil en 45. Je l’ai mise à la maternelle et j’ai commencé à travailler à la Biscuiterie Gondolo à Maisons-Alfort (cette entreprise n’existe plus). Mais en 46, Pierrette à fait une scarlatine avec une broncho-pneumonie avec 41°2 de fièvre. Nous avons eu peur de la perdre et j’ai dû quitter mon travail pour la soigner. Dès sa guérison ma belle-mère la gardait quelques heures chaque jour et j’ai fait des ménages.
Je n’ai pas remis Pierrette à la maternelle. Lorsqu’elle est retournée à l’école elle savait lire, écrire, compter. J’en ai fait autant avec ses deux sœurs Liliane et Michèle et l’une de mes petites-filles.

Tous les ans nous allions en vacances chez ma mère, quand les enfants étaient petites. à la mer ou à la montagne ensuite, dès qu’elles ont grandi. À 48 ans, Raymond a passé son permis de conduire et a acheté une voiture d’occasion. C’était le rêve ! car on pouvait visiter les alentours.

Nous avons eu trois filles : Pierrette, Liliane et Michèle qui ont toutes fait des études supérieures, ce dont Raymond était fier, pour lui, qui aurait tant voulu poursuivre ses études, c’était sa revanche.

Pierrette née en 42 possède 3 doctorats en chimie. Doctorats 3e cycle d’Université et d’État. Elle a fait toute sa carrière au CNRS. Elle a été en Amérique un an à l’Université de Bloomington, avec son mari et ses enfants (j’ai été les rejoindre 6 semaines en 72 et 73).
Elle a été en congrès dans presque toute l’Europe, la Californie et quelques pays de l’Amérique Latine. Elle a fait des publications avec les résultats de ses recherches. À sa retraite, un confère américain lui a offert un livre où il avait rassemblé les publications de ses travaux.

Liliane née en 48 a fait sa carrière comme bibliothécaire à l’INSEP à Vincennes.

Quant à Michèle née en 53, elle est documentaliste à la bibliothèque du Port à la Réunion où elle habite. Son mari est professeur d’anglais, il y était parti comme coopérant.

Nous avons eu aussi la joie d’avoir trois petits-enfants : Isabelle, Patrice et Christelle, et trois arrières petits-fils : Guillaume, Benjamin et Tom.
J’ai posé la question à mes filles à savoir si elles avaient souffert du manque de présence de leur père en raison de son engagement politique et syndical.
Voici la réponse : « Non puisque tu étais là. Et sans toi il n’aurait pas pu faire tout ce qu’il a fait ».

Témoignage recueilli auprès de Marie-Joséphine Savignat

Yvette Madore Madeleine Quéré